S'il est un point commun entre la
sagesse de l'antiquité et le christianisme, c'est la mise en avant de
l'éminente dignité de l'homme. L'homme
fait certes partie de la nature en tant qu'il a un corps, mais il s'élève
au-dessus d'elle grâce à son esprit, à sa raison. Cicéron se plaît à dire que
le corps de l'homme a une forme qui le subordonne à son esprit : tandis
que beaucoup d'animaux sont courbés vers leur pâture, l'homme est le seul à être debout, comme pour être plus
près du ciel, sa vraie patrie.
Cette distinction entre l'homme
et l'animal a pour conséquence que notre identité est d'abord spirituelle avant
d'être physique. Le corps est une part de nous-même, mais la raison ou notre
âme en est la part essentielle. Nous dominons, jusqu'à un certain point, notre
corps, de sorte que nos comportements relèvent de notre humanité et non de
l'animalité. La pudeur, dit encore Cicéron, exige que, sauf à régresser vers
l'animalité, non seulement nous cachions aux regards les actes sexuels,
mais encore que nous nous abstenions de toute parole trop grossière.
Cette morale plus que deux fois
millénaire, tant dans notre conduite que dans nos propos, est fortement mise à
mal depuis quelques années. Ce que nous constatons, c'est à l'inverse l'immense
importance accordée au sexe, comme si ce que nous avons ou ce que nous n'avons
pas entre nos jambes était plus important que notre raison ou notre esprit.
Certains m'objecteront qu'être un homme ou une femme fait que nous avons une
raison d'homme ou une raison de femme. Qu'il y ait des différences de
sensibilité, nul ne le niera, mais cela n'altère en rien l'idée de la primauté
de la raison en elle-même, hors de toute référence au sexe. Lorsque nous
pensons, lorsque nous réfléchissons, nous le faisons d'abord en tant qu'être
doué de raison, en tant qu'être humain, et non parce que nous sommes un homme
ou une femme. Ce qui compte est donc notre intelligence en tant que faculté de
penser, et non, répétons-le, le fait qu'on soit un homme ou une femme. Ainsi la
parité entre hommes et femmes dans certaines instances, comme par exemple dans
le gouvernement, est-elle en soi une absurdité. Plutôt que d'attribuer tel
poste ministériel à telle personne qui aurait les compétences et le charisme
requis, la personne désignée le sera peut-être parce qu'il faut ici un homme ou
une femme pour que la parité soit respectée.
Cette exigence de parité n'est
cependant qu'un symptôme, elle n'est que l'effet de l'importance donnée au sexe,
non la cause en elle-même. Cette cause, quelle est-elle ? Elle n'est rien
d'autre que l'abandon de l'ordre que nous évoquions plus haut, celui de la
domination de l'esprit sur le corps, de l'humanité sur l'animalité. Pourquoi
cet abandon ? Notre esprit, ou notre droite raison, est pourtant articulé
à la notion de vérité, laquelle nous montre qu'il y a un ordre dans la nature,
ordre qui ne peut pas être autrement qu'il est. Les philosophes antiques, et
particulièrement Cicéron que nous avons cité, et tout le christianisme, nous
disent que cet ordre de la nature n'est ordre que par la volonté de Dieu. Cette
idée de transcendance ou d'ordre, c'est précisément ce que l'orgueil humain a
de la répugnance à accepter.
L'épicurisme, dans l'antiquité,
en donnant une place centrale à la notion de plaisir, et en présentant la
morale comme une simple convention, avait déjà été un pas vers l'athéisme.
Cette philosophie néanmoins, resta longtemps minoritaire. Il fallut, quelques
siècles plus tard, la critique subversive de la philosophie dite des Lumières,
pour que les hommes crussent qu'ils pouvaient se passer de toute transcendance
religieuse. L'abandon d'une telle transcendance aboutit à ce que l'homme se
perçut comme maître de lui-même. Les philosophes proclamèrent alors que les
hommes s'étaient émancipés, qu'ils étaient désormais libres.
Mais qu'est-ce qu'une telle
liberté ? Tant que la religion ; quoique décriée, eut encore quelque
influence, tant que certaines idéologies combatives purent exalter les
énergies, il y eut encore des conduites morales ou qui se croyaient morales.
Avec l'effondrement, du moins dans notre monde occidental, de la croyance au
monde meilleur soviétique, beaucoup de nos contemporains, sans foi religieuse,
sans grande confiance en la politique en ce qu'elle peut avoir de véritablement
civique, ne purent que se tourner vers leur propre vie privée, et l'exalter
au-delà du raisonnable. C'est ce que certains sociologues ont appelé l'ère de
l'individualisme ou, pour reprendre la formule de Gilles Lipovetsky, l'ère
du vide .
En quoi consiste cette liberté,
ou plutôt cette pseudo-liberté tant vantée aujourd'hui ? Elle se fonde sur
la recherche du plaisir. Une telle recherche, pourrait-on objecter, a
existé de tout temps. La différence avec aujourd'hui est grande
cependant, car autrefois une recherche ostentatoire du plaisir, et en
particulier de celui des sens, était considérée comme dégradante ou du moins
comme un comportement caractéristique de gens vils. Aristote, dans l'antiquité,
le note avec mépris : « La foule se montre véritablement d'une
bassesse d'esclave en optant pour une vie bestiale, mais elle trouve son excuse
dans le fait que beaucoup de ceux qui appartiennent à la classe dirigeante ont
les mêmes goûts qu'un Sardanapale ».
Aujourd'hui point de considération morale.
Ce qui caractérise notre époque
est l'importance accordée aux comportements sexuels, à l'orientation sexuelle,
comme disent les partisans de la théorie du genre. Nous aboutissons là à
l'extrême conséquence de l'abandon de toute transcendance. La perte de la foi
religieuse entraîne avec elle l'érosion de toute autorité dans tous les
domaines quels qu'ils soient. Que reste-il alors ? Il reste ce que le
poète russe contre-révolutionnaire Tiouttchev appelait le moi humain :
« Le moi humain, ne voulant relever que de lui-même, ne reconnaissant,
n'acceptant d'autre loi que son bon plaisir, le moi humain, en un mot, se
substituant à Dieu [...] ».
Ce moi humain livré à lui-même s'abrutit, au sens étymologique, c'est-à-dire devient une brute, une bête,
s'il n'écoute que ses désirs sensuels.
C'est là ce que l'on peut
reprocher à ceux qui se définissent d'abord par leur comportement sexuel, car
agir ainsi, c'est renverser l'ordre naturel, lequel exige la primauté de la
raison, de l'esprit sur le corps. Ce n'est pas qu'il faille discréditer le
corps, au contraire : en mettant le corps à la place qui lui revient,
c'est-à-dire après l'esprit, on lui reconnaît son importance, sa juste valeur.
De plus, le corps appartient en grande partie à la sphère privée, ce qui relève
de l'intimité n'a donc rien à faire dans la sphère publique. Notre époque a
pourtant l'attitude inverse : la loi oblige en certains cas la parité
hommes/femmes, notamment dans certains postes à responsabilité. On peut se demander
pourquoi une loi juridique, normalement en tant que loi valable pour tous, ne
s'applique qu'en certains cas. La réponse saute aux yeux : une application
à tous les niveaux, et dans tous les secteurs, de la parité hommes/femmes
montrerait à l'évidence l'inanité de cette loi. Comment ferait-on dans
l'éducation, dans la santé, dans la justice ? Il faudrait qu'il y ait un
nombre égal d'hommes et de femmes partout !
Si la parité est en soi
discutable, les revendications des diverses associations LGBT le sont bien
davantage encore. On a vu plus haut que notre humanité relève de l'esprit, de
la raison, plutôt que de notre corps. Si donc se définir d'abord par son
comportement sexuel, plutôt que par son esprit, est renverser le bon ordre,
vouloir intimer à toute la société une reconnaissance, une légitimation de ce
renversement est encore aller plus loin dans le bouleversement.
MARC FROIDEFONT