De moins en moins fréquentées, les
églises coûtent cher à entretenir et les maires s'interrogent. Faut-il les
préserver ou doit-on les démolir ? Pas de doute, de gros nuages noirs
surplombent désormais les petits clochers ruraux. Comme si le tabou de leur
destruction commençait à se lever. Béatrice de Andia, à la tête du nouvel
Observatoire du patrimoine religieux, affirme que, sur la base d'un rapport du
Sénat, « 2 800 des 15 000 églises rurales protégées » seraient « en situation de
péril ». « Ce qui laisse augurer, explique cette ancienne responsable de
l'action artistique de la Ville de Paris, que les bâtiments non classés, qui ne
sont pas une priorité pour l'État, ont un sombre avenir devant eux. » Christian
Prunier, créateur en 2003 du site clochers.org, destiné aux généalogistes, reconnaît, lui,
que « pour se débarrasser d'un bâtiment, il suffit de le laisser pourrir 20 ans,
de l'entourer ensuite de bandes rouges pour signifier son danger puis de faire
établir un arrêté de péril. La démolition n'est alors plus une honte. Elle est
conseillée ». Les Français sont pourtant « viscéralement attachés » à leurs
églises, dit Alain Guinberteau, créateur de 40000clochers.com, qui a lancé un
concours photos couronnant le meilleur chasseur de clochers.
Dans la région historique des
guerres de Vendée, où les chapelles ont fleuri au XIX
e siècle,
de plus en plus d'édiles ont franchi le pas et commencent à détruire leur
clocher faute de moyens pour les entretenir.
DE L'HERBE folle a poussé entre les
tas de pierres, de vieux carrelages et d'ardoises brisées. Un angle de mur est
encore vaguement debout et des tiges de fer rouillées pointent vers le ciel. En
cet endroit désolé, il y a moins d'un an, se dressait encore une église dominant
toute cette région, théâtre des guerres de Vendée. Bâtie en 1870 sur un point
culminant du Maine-et-Loire, à 200 mètres d'altitude, l'église paroissiale du
village de Saint-Georges-des-Gardes a été démolie en août dernier.
« Déconstruite », précise le maire, Gabriel
Lahaye, qui, sans être un adepte du philosophe Jacques Derrida, a choisi ce
terme pour son image moins violente,
« plus
respectueuse ».
La commune de 1 500 habitants
possède une autre église et, ne pouvait pas supporter les charges d'une
réhabilitation : bien au-delà du million d'euros. Les églises construites
avant 1905 sont, en effet, à la charge des collectivités locales.
« On m'avait dit : tu le regretteras ! Mais il n'y
a rien à regretter », assure Gabriel Lahaye. Un habitant, Gérald
Eloire, a bien tenté de s'opposer à la démolition avec une lettre ouverte au
maire, la création d'une association, la mobilisation des médias. En vain. Cet
athée convaincu, qui avait choisi de s'installer dans ce village justement pour
le charme de son église, n'a entraîné qu'une poignée d'habitants derrière lui.
Et récolté beaucoup d'hostilité.
Le maire, qui va faire construire un
petit oratoire de style contemporain sur le site de l'ancienne église, assure
que
« d'autres communes s'apprêtent à franchir ce
pas ». La région est en effet pleine d'églises construites au
XIX
e siècle pour accueillir une population très pratiquante et
en pleine croissance, en « réparation » aussi de la Révolution, quitte
alors à détruire des églises trop petites ou trop abîmées qui avaient pourtant,
elles, une réelle valeur architecturale. À 18 km de cette colline des
Gardes, en effet, Bernard Briodeau, maire
« plutôt centriste »
de Valanjou, affirme avoir tourné les plans, les expertises, les aides
régionales ou départementales et les comptes communaux dans tous les sens avant
de se rendre à l'évidence : l'église Saint-Martin de son village est aussi
vouée à la disparition. À terme, il espère ne conserver qu'une tour défensive du
XV
e siècle contre laquelle avait été édifié le bâtiment au
XIX
e.
« Acte
sacrilège »
Pour l'instant, la démolition ne
concerne que le clocher et la chambre des cloches. Comme à
Saint-Georges-des-Gardes, le clergé, affectataire des lieux, n'a pas bronché. La
messe est célébrée dans une autre église de cette petite commune blottie dans
les chemins creux et qui ne compte pas moins d'une cinquantaine de chapelles,
oratoires ou calvaires.
« La pratique a nettement chuté ces dix
dernières années, souligne le maire, et les catholiques
pratiquants acceptent la décision. Ils savent leur foi plus forte que des
vieilles pierres sans valeur. La priorité de l'Église,
aujourd'hui, ce sont les pierres vivantes ! » En revanche,
Bernard Briodeau a reçu des lettres de personnes parfois extérieures à la
commune, anonymes ou non, lui promettant
« le feu de
l'enfer » s'il commettait
« cet acte
sacrilège ». « Je sais, admet-il,
que dans cette
région, on ne touche pas à une église, même si la messe est un lointain
souvenir. C'est historique et viscéral. Mais que puis-je
faire ? »
Maire de Gesté, à 45 km de là,
Michel Baron dit lui aussi avoir cherché d'autres solutions. D'autant que
l'église, très vaste, dont le conseil municipal vient de voter la démolition,
est la seule de la commune de 2 500 habitants. La messe y est encore
célébrée. À la place, le maire promet de construire
« une salle
de 500 places, susceptible d'être divisée en deux, moderne, facile à chauffer,
attirante pour les jeunes... » Le curé de la paroisse, Pierre
Pouplart, reste sur la réserve.
« Ce sont les affaires de la
commune, esquisse-t-il,
je comprends qu'elle s'interroge sur le coût de
l'entretien. » Responsable de l'art sacré pour ce diocèse
d'Angers, le père André Boudier observe :
« Les
églises de qualité doivent être sauvegardées. Pour les autres, il faudra
accepter de les détruire et de construire à la place des édifices mieux adaptés
aux besoins d'aujourd'hui... »